Revue Décapage #60

Illustration d’un texte d’Arnaud Modat

“Je disais : « Regardez-moi, Mademoiselle. »

Je disais même : « S’il vous plaît, continuez à me regarder… »

Je me montrais direct parce que la fille était vulnérable et, à vrai dire, sur le point de tomber dans le coma mais c’était l’essentiel du message que je souhaitais transmettre, en réalité, à toutes les femmes que je rencontrais à cette époque. Sophie ouvrait les yeux de temps à autre mais cela ne durait jamais assez longtemps pour que je puisse ajuster mon sourire le plus touchant. « Mademoiselle, est-ce que vous entendez ma voix ? » La trouvez-vous sensuelle ? Potentiellement radiophonique ? Ne vous transporte-t-elle pas déjà vers les états émotifs d’un siècle disparu ? J’avais mille questions à lui poser mais elle préférait convulser plutôt que de se livrer à moi.

Je pensais : « Ne dépouillez pas la femme de son mystère. » (Friedrich Nietzsche)

Nous nous trouvions sur les marches de la médiathèque municipale. La fille, Sophie, ne m’était pas littéralement tombée dans les bras. Elle avait d’abord esquissé les pas d’une danse connue d’elle seule, puis elle avait perdu la vue. Son attitude générale avait certainement attiré l’attention de ceux qui, comme moi, fumaient là une cigarette. Encore une de ces nanas défoncées au crack, avais-je pensé”…